le monde du travail en décomposition puante

Publié le par la blogueuse

le monde du travail en décomposition puante

 

Inspecteur du travail mis à pied :
l’indignation du Vosgien Nicolas Mathieu,
prix Goncourt 2018
Par Mickaël DEMEAUX -

à lire ici: https://www.vosgesmatin.fr/edition-epinal/2020/06/03/inspecteur-du-travail-mis-a-pied-l-indignation-de-nicolas-mathieu?preview=true&fbclid=IwAR2NUay1rV2KkOiEAsF7n_w5lBFsGVbLvNw49hqNJGNRcVqUk2hF4X48C1Q

Dans son premier roman, « Aux animaux la guerre » (Actes Sud), il campait le personnage d’une inspectrice du travail dépressive cherchant un sens à sa vie. Aujourd’hui, pour l’écrivain vosgien Nicolas Mathieu, la réalité dépasse la fiction.

Le prix Goncourt 2018 pour « Leurs enfants après eux » (Actes Sud) dénonce avec fermeté la situation dans laquelle se trouve Anthony Smith, un inspecteur du travail de la Marne mis à pied depuis le 15 avril après avoir alerté sur le manque de protection des salariés d’une association d’aide à domicile.

« Selon toute vraisemblance, Anthony Smith a été mis à pied parce qu’il remplissait ses missions légales en allant à l’encontre des instructions de sa hiérarchie. C’est en tout cas ce qu’affirment unanimement les huit syndicats qui ont pris la défense de cet inspecteur du travail de la Marne », indique Nicolas Mathieu.

TRES BEAU TEXTE DE NICOLAS MATHIEU, ECRIVAIN (PRIX GONCOURT 2018), EN SOUTIEN A ANTHONY SMITH

Selon toute vraisemblance, Anthony Smith a été mis à pied parce qu’il remplissait ses missions légales en allant à l’encontre des instructions de sa hiérarchie. C’est en tout cas ce qu’affirment unanimement les huit syndicats qui ont pris la défense de cet inspecteur du travail de la Marne.

Pour se faire une idée de la légitimité de cette fameuse mise à pied, il faut sans doute repartir du début, comme souvent, et redire clairement à quoi servent le droit du travail et les inspecteurs qui veillent à son application.

Le rapport salarial qui organise une bonne part de notre vie sociale est dès l’origine inégalitaire, puisqu’il consacre contractuellement un lien de subordination entre un employé et son employeur. Pour beaucoup, cette soumission ne pose pas question. Elle est devenue si habituelle qu’elle va de soi. Au 19e siècle, elle a pourtant permis l’a mise en place d’un système d’exploitation d’une brutalité folle sur lequel s’est bâti l’essor industriel des pays alors les plus avancés.

Le droit du travail a justement été conçu – entre autres – pour rééquilibrer cette relation salariale foncièrement dissymétrique. Aux journées sans fin, aux années sans vacances, au travail des enfants, aux conditions de sécurité et d’hygiène inacceptables, ce droit a opposé des limites et rendu l’existence des travailleurs tout simplement vivable. Ces conquêtes du droit du travail ont été obtenues de haute lutte, par le militantisme, les voies démocratiques, l’activisme, la négociation, la grève, la conciliation, j’en passe.

Or depuis quelques années, le versant social de ce droit est mis à mal au nom du « pragmatisme », du « bon sens », de la « modernité », soit une idéologie qui s’ignore et postule que l’efficacité économique prime sur toute autre considération.

Le visage du capitalisme a évidemment beaucoup changé depuis le 19 e siècle. Les séductions publicitaires ont bien souvent remplacé les injonctions
autoritaires, les paillettes se sont quelquefois substituées à la schlague. Beaucoup de salariés sont devenus de petits capitalistes à leur tour. La finance règne et dans nos pays, l’industrie et les risques qui y étaient associés sont souvent devenus des souvenirs, des exceptions.

N’empêche. Il existe toujours des femmes et des hommes qui travaillent pour d’autres, qui reçoivent des ordres et les exécutent sans avoir avoir grand-chose à y redire. Ces citoyens, aujourd’hui comme hier, ont un besoin immense de faire valoir leurs droits et d’être défendus.

C’est précisément là, sur ce front qui délimite les droits des travailleurs et le pouvoir des donneurs d’ordre, qu’on trouve les inspecteurs du travail, en petit nombre, toujours débordés, sans trop de moyens, qui font ce qu’ils peuvent.

Anthony Smith est l’un d’entre eux et il a donc été mis à pied en plein confinement parce qu’il avait engagé une procédure de référé à l'encontre d'une structure d'aide à domicile. Le motif de ce référé ? Il est simple. Au moment où l’épidémie faisait rage, les employés de cette entreprise ne portaient pas les masques nécessaires à leur activité.

Si l’on en croit les huit syndicats qui soutiennent Anthony Smith, le seul reproche qui lui est fait, c’est d’avoir accompli sa mission au mépris des consignes de ses supérieurs.

On voit ici venir un grand classique, toujours la même histoire. La conscience contre les ordres. La mission contre le règlement. Ce qu’il faut faire contre ce à quoi on vous oblige.

Mais disons les choses telles quelles, sans rien cacher de l’affaire. Anthony Smith est un syndicaliste encarté à la CGT. Il est aussi représentant au Conseil national des Inspecteurs du travail. Sa position n’est donc pas neutre ; aucune ne l’est de toute façon. Ses fonctions représentatives lui ont peut-être donné le sentiment qu’il pouvait ignorer les directives de ses chefs. Sans doute s’est-il senti autorisé, du fait des protections dont il bénéficie, à mener ses missions en fonction de sa déontologie et non d’après les ordres qui lui étaient donnés. Tout cela est possible.

Mais après tout, pourquoi pas ? L’indépendance des inspecteurs du travail est garantie par l’Organisation Internationale du Travail et le Code du Travail français. Mieux, les inspecteurs bénéficient de la libre décision, c’est-à-dire qu’il leur est loisible de donner toutes les suites qu’ils jugent nécessaires à un contrôle quoiqu’en dise leur hiérarchie.

Alors pour quelles raisons Anthony Smith a-t-il été mis à pied ?

Tout d’abord, son référé tombait mal, en pleine crise du COVID 19, au moment même où des responsables politiques inventaient chaque jour une nouvelle doctrine pour justifier la pénurie de masques dont pâtissait notre pays. En rappelant à un employeur son obligation de sécurité, Anthony Smith apportait une nouvelle pierre au procès qui s’instruit déjà contre l’esprit gestionnaire qui depuis dix ans a désarmé la politique sanitaire française. Il contrevenait aussi et surtout aux orientations du ministère du Travail dont il dépend, et pour lequel le maintien de l’activité passe avant toute autre considération. Au-delà, son sort résulte peut-être seulement d’une bataille d’autorité dans une quelconque sous-direction administrative, une querelle opposant une forte tête et des cols blancs à bout de patience. Son affaire relèverait alors davantage de Courteline que du Washington Post.

Pour l’heure en tout cas, on n’a pas fait la preuve d’une faute de sa part et le refus d’exécuter des directives est évidemment très insuffisant pour justifier sa mise à pied dès lors qu’il exécutait légitimement ses missions les plus fondamentales.

Car au fond, la seule question qui compte la voici : L’obéissance qu’un inspecteur doit à ses chefs prime-t-elle sur la protection des salariés ? Ou pour le dire autrement : la mise en œuvre des orientations du ministère est-elle plus importante que la santé des citoyens ?
Si oui, il faudra nous l’expliquer.
Si non, alors cette mise à pied conservatoire n’est qu’une mesure arbitraire, de convenance, une lettre de cachet à la petite semaine, une manœuvre d’intimidation. Une erreur en somme que la Direction du Travail responsable (DIRECCTE Grand Est) se doit de réparer au au plus vite en réintégrant Anthony Smith. Faute de quoi elle courrait le risque de se déshonorer, comme d’autres administrations avant elle, qui sacrifièrent des individus à des intérêts de corps, nièrent des droits au nom de la discipline, firent des exemples pour mater de justes grognes, passèrent outre leur vocation pour complaire à des tutelles ou restaurer l’autorité de petits chefs en colère. Dans une démocratie comme la France, on imagine mal que ces choses-là puissent se produire. On n’imagine pas, surtout, que ceux qui ont décidé cette mise à pied veuillent s’inscrire dans une si lamentable généalogie.

Nicolas MATHIEU

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 Arbitraire et intimidation »

L’écrivain ajoute : « Si l’on en croit les huit syndicats qui soutiennent Anthony Smith, le seul reproche qui lui est fait, c’est d’avoir accompli sa mission au mépris des consignes de ses supérieurs. On voit ici venir un grand classique, toujours la même histoire. La conscience contre les ordres. La mission contre le règlement. Ce qu’il faut faire contre ce à quoi on vous oblige… »

Pour Nicolas Mathieu, « l’obéissance qu’un inspecteur doit à ses chefs prime-t-elle sur la protection des salariés ? Ou pour le dire autrement : la mise en œuvre des orientations du ministère est-elle plus importante que la santé des citoyens ? Si oui, il faudra nous l’expliquer. Si non, alors cette mise à pied conservatoire n’est qu’une mesure arbitraire, de convenance, une lettre de cachet à la petite semaine, une manœuvre d’intimidation ».

Début avril, le Vosgien avait poussé un coup de gueule contre le directeur de l’ARS Grand Est, qui avait dû quitter ses fonctions peu de temps après.

 

 

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