Bienvenue "Avenue des Diables-Bleus"

Publié le par la lectrice

Bienvenue "Avenue des Diables-Bleus"

Après Albi, c’est à Nice qu’un livre m’entraîne.

Ah la belle écriture de Nucera !

Qu’ai-je donc déjà lu de lui ? « Sa majesté le chat » ou « le greffier » ? je ne sais plus. Peut-être aucun mais je le connaissais par son amour des chats, et j’avais eu connaissance de l’accident qui causa sa mort.

Louis Nucéra, né le 17 juillet 1928 à Nice et mort le 9 août 2000 à Carros, est un écrivain français.

« Il a reçu le prix Interallié en 1981 et les grand prix de littérature de l'Académie française en 1993 et prix du roman populiste en 2005 pour l’ensemble de son œuvre. Louis Nucéra était connu pour sa passion du cyclisme, auquel il consacre notamment le livre Mes rayons de soleil. C'est en faisant du vélo qu'il meurt dans un accident de la route. D'abord inhumé au cimetière de Caucade, il repose, depuis le 9 août 2019, au cimetière du Château, son ultime demeure. »

« L'association « Lire à Saint-Étienne » a créé le prix « Les Soleils de Nucéra » (ou prix Louis-Nucéra) en 2002. Récompensant un roman publié dans l'année, dont le thème principal concerne le cyclisme, il est remis sur le podium de la course cycliste Paris-Nice à l'étape de Saint-Étienne, ou dans la ville-étape la plus proche. » (source Wikipédia 14/04/2020)

Mais revenons à nos Diables-Bleus.

Ici c’est à Nice que nous partons avec l’auteur qui quitte Montmartre et va vivre quelques semaines chez la grand-mère de sa femme. Une ville qu’il connaît pour y avoir passé son enfance ; les souvenirs remontent, et l’histoire de Nice et du Comté de Nice nous est contée.

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« Je descends la rue qui porte le nom d’Emmanuel Philibert, rénovateur des États de la Maison de Savoie. Lié à des ennemis intimes, puisque neveu de Charles Quint et gendre de François 1er, le duc Emmanuel Philibert, appelé Tête de Fer, aménagea le château de Nice, fit construire le fort du mont Alban, la citadelle de Villefranche. Vauban l’estimait. « Quand les Français prendront le mont Alban, assurait-on, les lièvres captureront des chiens. » On se vantait. »

Au cours de ses visites de la vieille ville, le narrateur rencontre des personnages pittoresques, et des amis d’enfance.

Ainsi ce Socco : « Il peste contre les nouvelles constructions, crie au massacre de la cité de son enfance. Sa mélancolie est fébrile, farouche, active. Il avance d’un pas alerte vers des ressentiments qui préludent à des représailles. Il les annonce et promet de se prendre au mot. Il fait partie de ces merveilleux qui à cent ans s’indigneront comme à vingt, l’humour en embuscade, la foudre à fleur de peau ; contre eux les années complotent longtemps en pure perte. »

« Il faut écrire, inspiré par les trottoirs… Quel univers que les trottoirs des villes, les rencontres manquées, les amis qu’on ne connaîtra jamais, les jolies filles !... On est ensemble un moment comme dans un compartiment de train, chacun descend à son arrêt, nul ne se parle alors qu’on devrait s’adresser à tout le monde… »

C’est aussi l’histoire de tous les émigrés italiens, fuyant le fascisme, fuyant la misère, venu en France pour être français. Français et moins pauvre. Fuir la terre parfois ingrate. Fuir les travaux rendus pénibles.

Ainsi ce passage touchant, après que la grand-mère ait sorti des coupons de tissus qu’elle gardait précieusement, avec lesquels le costume prévu n’avait pas été taillé, et qui s’étaient cassés au niveau des pliures, de vieillesse ou de mauvaise qualité.

«Une fois encore elle se tourna vers l’armoire, grimpa sur l’escabeau et en descendit très vite, tenant un nouveau paquet dans sa main droite : « Je n’ai jamais montré ça à personne… Je le donnerai à ma fille avant de mourir, comme mon père me l’a donné quand je suis venue en France… Il devait sentir qu’il ne me verrait plus… » Elle délia le paquet. Une robe d’enfant en lambeaux, taillée dans un sac, m’apparut. « C’est pour que jamais on n’oublie la misère », dit-elle d’une drôle de voix. Je ne comprenais pas. J’étais gêné et en même temps la curiosité me pressait. Je la laissais regarder la robe. Je ne la bousculais pas. Les chagrins s’étaient enfuis et l’accablement devant les coupons de tissus usés par le temps… A présent d’autres souvenirs erraient, des visions d’une très ancienne époque, des charmes et des terreurs, des kyrielles de choses fragiles et tenaces qu’on ne chasse pas comme on veut… « ça vient de famille », expliqua la grand-mère avec cette voix que je lui connaissais pas… Déplorait-elle d’avoir trahi un secret ? Elle lissait religieusement la robe : il y avait, me semblait-il, de la dévotion, de la tendresse et aussi de la crainte dans son comportement. Une superstition. Elle ajouta : « Il y a des années et des années, en Italie, on était tellement pauvre, chez nous, que c’est avec des sacs qu’on habillait les enfants… »

Ainsi, comme dans d’autres familles on se transmet des fortunes, dans celle-ci on se lègue une défroque, symbole du dénuement. J’en étais tout remué. Je me sentais indiscret. Que pouvais-je répondre ? »

 

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La grand-mère était femme de ménage, cuisinière, bonne à tout faire chez des gens aisés. Toujours obéissante à ses patrons, jamais une idée de révolte, elle la pauvrette, petite paysanne venue d’Italie.

« D’aucuns sont domestiqués à jamais. Ils ne franchiront aucune barrière. Il y a les Messieurs et les Dames ; il y a le troupeau. Elle appartient à l’innombrable contingent des victimes ; ces victimes qui font le monde, qui en sont le fondement, la force. La grand-mère demeure rivée aux origines. Elle obéit à des ordres occultes qu’elle ne peut transgresser : la conscience des choses bien faites, le respect d’un code social se retournerait-il contre les gens de sa qualité, la dévotion à l’institution travail, l’absence de jérémiades. La démesure est son domaine, mais dans le subalterne, l’héroïsme quotidien. Les archives publiques retiennent les hauts faits. Nulle place pour ceux que l’on a dressés afin qu’ils se sentent perpétuellement surveillés, coupables au moindre froncement de sourcil, ceux à qui l’on accorde, par calcul, des miettes de considération. « Vous savez pas vous y prendre, disait une maîtresse de maison qui en conseillait une autre. J’ai offert deux brins de muguet à ma bonne au 1er mai et, à présent, elle me mange dans la main. » Combien a-t-on offert de cette sorte de muguet à la grand-mère ? »

 

Un côté nostalgique et trop de souvenirs personnels peuvent lassés, mais c’est si bien écrit que l’on peut tout lire de Nucéra.

 

« Un livre qui dit la gloire lumineuse des humbles » selon Joseph Kessel.

 

Avenue des Diables-Bleus de Louis Nucera       

Editions Grasset et Fasquelle, 1979

Imprimé en France sur les presses des Imprimeries Aubin à Poitiers/Ligugé

Je ne sais pas d’où je le tiens, peut-être de la brocante

 

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