La vie des charançons est assez monotone

Publié le par la lectrice

rentrée des classes

rentrée des classes

« description drôle et caustique de ce qui se passe réellement dans les lycées. Cette vie-là à beau être assez monotone, elle vous donnera à rire… et à penser. »

La vie dans les lycées comme la vie dans d’autres lieux n’est pas monotone pour tout le monde. Certains y trouvent leur rythme, leur passion, leur distraction, et d’autres pas. D’aucuns subissent tout cela sans état d’âme, profitant des instants heureux, se réservant pour leur vie personnelle à l’extérieur.

On aurait presque envie de dire, si vous vous y ennuyez, cher professeur, changez de métier !

Et même : « que croyiez vous donc ?, ne vous souvenez vous donc pas de vos propres études ? »

 

Allons, 123 pages en format poche c’est vite lu. Ce n’est pas si ennuyeux, on y apprend pas mal de chose sur les « coulisses » de l’Education nationale. Si cet opus a plus de 20 ans, et si, certainement, bien d’autres ouvrages du même acabit lui ont succédé, ça reste assez actuel sur le fond.

 

Page 36 quand en cours de français on entend ce qu’il se passe dans la salle voisine… qui n’a pas connu ?

« Tchak-a-tac, tchak-a-tac, tchak, tchak, tchak. Crépitement sur la paroi du fond. De toute évidence, il y a un cours de maths dans la salle d’à côté. Seuls les professeurs de mathématiques écrivent au tableau avec autant de furie, et réussissent à produire, avec une simple craie, ce bruit de mitrailleuse. Ne nous troublons pas. »

 

P40 dans tous métiers, parfois, le « j’y vais pas » nous gagne… peut être plus dans les uns que dans les autres…

« En général, ça me prend le matin, à six heures et demie, quand le premier réveil sonne. J’arrête l’engin, je me renfonce sous les couvertures, je me dis : j’y vais pas. La vanité des entreprises éducatives, et spécialement celles qui concernent l’enseignement des lettres, m’apparaît dans toute sa splendeur. Le nez sous la couette, je construis une argumentation en béton. C’est, premier point :

- On perd son temps à siffler quand l’âne n’a pas envie de pisser, ou, en d’autres termes, on n’enseigne rien, ni le tricot, ni la recette du riz à la créole, ni l’art du commentaire composé, à des gens qui n’ont pas envie de les apprendre.

C’est encore, deuxième point :

- Non seulement la littérature et la poésie, c’est rigoureusement inutile, comme chacun sait, mais encore c’est dangereux. Vous ne verriez pas qu’on fabrique vraiment, dans les lycées, des têtes capables d’éprouver des émotions d’ordre esthétique, à qui rien de ce qui est humain ne serait étranger, voir même susceptibles de penser ? Mais où on irait ? Aux abîmes, tiens ! Aux abîmes ! La pauvre princesse de Monaco ne vendrait plus un disque, les animateurs des jeux-télé-débiles se retrouveraient au chômage, et les vedettes sportives de tout poil seraient obligées de se camer deux fois plus qu’elles ne le font déjà, pour se consoler de l’absence de supporters ! Plus de hooligans en furie pour mettre un peu d’animation dans les stades et au journal de vingt heures ! Tous allongés sur la pelouse, une pâquerette entre les dents, à bouquiner Rimbaud ou Saint-John-Perse, les hooligans ! Et les ménagères découvrant subitement qu’elles n’en ont rien à fiche, finalement, si le linge de la voisine est plus blanc que le leur ! Les pantoufles sur la table basse du salon, les ménagères, méditant sur les mystères du monde au lieu de l’épousseter ! Toute une civilisation par terre, comme ça, en une génération !

Comme je commence à envisager les catastrophes qu’amènerait, sur le plan électoral, la naissance d’un monde peuplé d’être humains sensibles et intelligents, entraînés à décrypter les discours et à réfléchir avant de formuler un avis, le deuxième réveil sonne. Je grogne : « M’en fous, j’y vais pas », et je me lève.

P 89 à90

 

 

 

P91  stats ou enseignement, il te faudra choisir !

« Le résultat le plus clair du travail avec les référentiels, c’est que le professeur, évaluant et testant sans relâche, n’a plus de temps à consacrer à autre chose qu’au remplissage des grilles, sans profit bien notable pour les élèves. »

« Les jeunes professeurs naïfs sont les derniers soleils dans les charançonnières, qui brillent de feux trop vite éteints. »

 

P 103 l’axiome pédagogique de base : « on n’apprend pas ce qu’on n’a pas envie e savoir. »

 

P 114….  La littérature, c’est dépassé !

« Quant à la littérature ! Certains en entendront parler pendant quelques heures par ci par là, sur un sujet de hasard ; s’ils réussissent à y prendre goût, ils seront vraiment enragés. Et ils sortiront des lycées sans jamais avoir rien lu d’autre que quelques textes dépareillés, tristes feuillets tombés du grand arbre aux livres, qui avait dix siècles et qu’on déracine.

On me dira : oh, exagérez pas ! Après tout, a ne touche jamais que la littérature, et la littérature, hein, en période de chômage…"

 

 

Corinne Bouchard, agrégée de lettres modernes était, à l’époque, enseignante depuis dix ans dans des lycées du Nord et du Centre de la France. Elle avait déjà publié sous le pseudonyme de Marie & Joseph dix romans dans la Série noire et divers ouvrages pour enfants.

 

lu début novembre 2019 

La vie des charançons est assez monotone de Corinne Bouchard

Calmann-Lévy , 1992 – Le Livre de Poche 1994

Illustrations Stanislas Zygart

La vie des charançons est assez monotone
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