Le Blocus - guerre de 1814, Phalsbourg

Publié le par phot'saône

Le Blocus - guerre de 1814, Phalsbourg

Ce livre a été l’un des prix que mon père a eu lors de l’obtention de son certificat d’études en 1951… l’a-t-il lui, lui qui lisait si peu ? que je n’ai jamais vu avec un livre dans la main hormis le dictionnaire ? Lisait-il à l’âge du certificat d’études d’autres livres que ces livres d’école ?

Il a perdu la jolie jaquette.

C’est un pan de l’histoire qui est évoqué dans ce livre écrit en 1866.

Les auteurs : Erckmann-Chatrian est le pseudonyme collectif utilisé de 1847 à 1887 par deux écrivains français : Émile Erckmann (né le 20 mai 1822 à Phalsbourg et mort le 14 mars 1899 à Lunéville) et Alexandre Chatrian (né le 18 décembre 1826 à Soldatenthal et mort le 3 septembre 1890 à Villemomble). Ils ont également écrit sous leurs patronymes respectifs.

Ils sont surtout connu pour le roman « l’ami Fritz »

La ville de Phalsbourg : La ville subit trois sièges (1814-1815-1870), valant à la ville le surnom de « Pépinière des Braves ».

C’est le père Moïse qui prend la parole pour raconter à Fritz le siège de sa ville, en 1814, qu’il a vécu de l’intérieur, avec sa famille. L’occupation d’une chambre dans sa maison par un sergent bougon, un sergent de l’armée Napoléonienne.

 Moïse est commerçant. Il a envoyé ses deux grands garçons en Amérique pour leur éviter la conscription et le risque de mourir à la guerre. Reste auprès de lui sa femme, son jeune fils et sa fille mariée et mère.

« Outre mon commerce de fer, je trafiquais aussi de vieux souliers, du vieux linge, et de tous ces vieux habits que les conscrits vendent en arrivant à leur dépôt, lorsqu’ils reçoivent des effets militaires. Les marchands ambulants me rachetaient les vieilles chemises pour en faire du papier, et le reste, je le vendais aux paysans ».

Avec le blocus, les paysans ne pourront pénétrer dans la ville pour leur achat. Moïse investi toutes ses économies dans des tonneaux d'eau de vie. L’on voit que, bien que très critiques envers la guerre et les armées, notre narrateur sait où placer ses intérêts.

 

Le Blocus - guerre de 1814, Phalsbourg

On s’attache rapidement à l’ami Moïse et sa famille qui subissent les affres d’une ville occupée par un contingent militaire près à en découdre avec les armées adverses.

J’y lis quelques notes antimilitaristes, et en tout cas des critiques sur la guerre et les hommes qui les décident au détriment des populations envoyées s’y faire tuer.

Page 24

« Mais ce qui peut manquer, c’est l’eau-de-vie qu’il faut aux hommes pour se massacrer et s’exterminer dans la guerre, et c’est de l’eau-de-vie que nous achèterons. »

Page 31

« O noble vin, consolateur, réparateur et bienfaiteur des pauvres hommes dans cette vallée de misères ! O vénérable bouteille, vous portez tous les signes d’une antique noblesse. »

Page 38-39 les grosses pièces d’artillerie sont installées dans les bastions, la population est requise pour aménager les lieux, enlever la végétation, charrier terres, sables et cailloux. Même les anciens, même les bourgeois, même Moïse.

« Mais que de travail perdu ! Et quand on pense que chaque coup de ces grosses pièces coûte au moins un louis, que d’argent dépensé pour tuer ses semblables !

Enfin les gens travaillaient à ces constructions avec plus d’enthousiasme qu’à la rentrée de leurs propres récoltes. J’ai souvent pensé que si les Français mettaient autant de soins, de bon sens et de courage aux choses de la paix, ils seraient le plus riche et le plus heureux peuple du monde. Oui, depuis des années, ils auraient dépassé les Anglais et les Américains. Mais quand ils ont bien travaillé, bien économisé, quand ils ont ouvert des chemins partout, bâti des ponts magnifiques, creusé des ports et des canaux, et que la richesse leur arrive de tous les côtés, tout à coup la fureur de la guerre les reprend, et dans trois ou quatre ans ils se ruinent en grandes armées, en canons, en poudre, en boulets, en homme, et redeviennent plus misérables qu’avant. Quelques soldats sont leurs maîtres et les traitent de haut en bas : - Voilà leur profit ! »

Page 69

« …il blanchissait lui-même ses buffleteries et ne laissait pas toucher à ses armes. »

buffleteries : ensemble des bandes de cuir de l'équipement d'un soldat. (Littré)

(bandoulière, baudrier, bourdalou, brayer, bride, buffle, cartouchière, ceinture, courroie, cravache, crispin, guide, harnachement, jugulaire, lanière, sellerie)

 

La guerre est à la porte de la ville. Est-ce un effet comique des auteurs de conter les déboires du narrateur dont la fortune risque d’être bue par les cosaques ; celui-ci ne pensant qu’à « son » eau de vie et n’a pas un mot pour les cosaques occis uniquement pour une douzaine de barriques. 30 années d’économie de notre marchand, il faut le rappeler. L’avenir de sa famille, aussi.

Page 95

« C’est du cognac… vingt-quatre pipes de cognac ! Ainsi, camarades, attention ! La garnison est privée d’eau-de-vie ; ceux qui n’aiment pas l’eau-de-vie n’ont qu’à se mettre derrière. »

Mais tous voulaient combattre au premier rang, ils riaient d’avance. »

 

Tour à tour les bariques sont nommées « 12 pipes de trois-six » ou « 12 tonneaux d’esprit-de-vin ».

Comme je n’y connais rien en alcool fort, je m’en réfère à la littérature des dictionnaires :

** «Le Trois-six est une eau-de-vie fabriquée en Normandie, portant ce nom pour signifier « trois mesures d'alcool et trois mesures d'eau ».

Cet alcool faisait l'objet d'un trafic de contrebande dans les îles Anglo-Normandes, en particulier aux Écréhou.

On l’appelait également « Preuve de Hollande » et elle titrait 19° Cartier. Dans la région du Languedoc le « Trois-Six » était l’alcool à 95 / 96° issu de la distillation du marc de raisin. »

** Qu'est-ce que l'esprit-de-vin ?

Ce terme semble être l'invention de Arnaud de Villeneuve, un médecin-alchimiste catalan du XIII° siècle qui a introduit dans la chrétienté les connaissances de nos voisins arabes dans ces deux domaines. Cet alcool distillé à un haut degré était destiné aux extractions de teintures pour la médecine ou d'autres préparations (son élève Raymond Lulle inventera notamment le mutage des vins (l'arrêt de la fermentation avec un ajout d'alcool. Les "vins doux naturels" comme le muscat et autres ratafias sont fait comme ça).

C'est un esprit, qu'il soit de vin ou d'autres choses (fruits, grains, tubercules…), d'ou la distillation des spiritueux, et l'esprit plane sur les eaux, c'est-à-dire qu'il se volatilise avant l'évaporation de l'eau.

Page 107

« En temps de guerre, le civil n’est plus rien, et l’on vous prendrait jusqu’à votre dernière chemise, avec un reçu du gouverneur. Les plus notables du pays passent pour des zéros, quand le gouverneur a parlé. C’est pourquoi j’ai souvent pensé que tous ceux qui demandent la guerre, à moins d’être soldats, perdent la tête, ou qu’ils sont ruinés aux trois quarts, et qu’ils espèrent se remettre dans leurs affaires, par la ruine de tout le monde. Ce n’est pas possible autrement. »

 

« Donnez de la cervoise à ceux qui sont dans l’amertume du cœur, donnez-leur du vin, afin qu’ils boivent, et qu’ils ne se souviennent plus de leurs peines ! »

 

 Page 108 :

Si tout va bien, Moïse pourra recevoir ses tonneaux, vendre son alcool et choyer son épouse.

« C’est là que tu seras assise, les pieds dans de grosses pantoufles, avec une bonne palatine bien chaude sur les épaules, et que tu vendras nos eaux-de-vie. » Elle riait d’avance.

Palatine : La palatine fut mise à la mode par la princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV.

Fourrure que les femmes portent en hiver sur le cou et sur les épaules, et qui pend sur le devant.

Le Blocus - guerre de 1814, Phalsbourg

Page 116… encore une charge contre la guerre, et avec raisons.

« Quelles masses sur ces affûts hauts de sept pieds, où les canonniers étaient forcés de se dresser et d’allonger le bras pour mettre le feu ! Et quelle fumée épouvantable ! Les hommes inventent des machines pareilles pour leur propre extermination, et croiraient faire beaucoup d’en sacrifier le quart pour soulager leurs semblables, pour les instruire dans l’enfance et leur donner un peu de pain dans la vieillesse. Ah ! ceux qui crient contre la guerre et qui demandent des changements n’ont pas tort. »

 

Et alors que le petit village de Lironcourt dans les Vosges voit revenir des idées de plantation de vignobles, on peut se demander de quel vin il est question à la page 166 ! Est-ce le même ? Comment serait-ce possible ?

« Burguet semblait heureux, surtout quand on eut apporté la bouteille de vieux lironcourt, et que nous trinquâmes ensemble. »

 

Page 175

Le blocus est difficile à vivre, la privation de liberté est insupportable ! Même quand on a un commerce fleurissant.

« Ah ! ceux qui soutiennent que la liberté passe avant tout ont bien raison, car d’être enfermé dans un cachot, quand il serait aussi grand que la France, c’est insupportable. Les hommes sont faits pour aller, venir, parler, écrire, vivre les uns avec les autres, commercer, se raconter les nouvelles et lorsque vous leur ôtez cela, le reste n’est plus qu’un dégoût. »

 

Je laisserai le lecteur s’informer par lui-même sur Phalsbourg et le siège de 1814.

 

Après « le Blocus » suit un court texte intitulé « Le capitaine Rochart ».

« Maintenant, si tu me demandes comment tant de paysans, tant d’ouvriers, de bourgeois, partis en masse pour défendre la liberté, -des gens qui tous auraient versé la dernière goutte de leur sang pour la République,- ont fini par accepter l’Empire, par livrer des batailles d’extermination contre ceux qui ne nous demandaient que la paix, par ne plus songer qu’aux honneurs, aux dignités, aux richesses, par vouloir mettre sous la domination d’un soldat la moitié du genre humain, par oublier tellement les Droits de l’Homme, qu’en arrivant sur les bords de la Baltique, après Iéna, toute la division Oudinot cria le sabre en l’air : Vive l’Empereur d’Occident ! si tu me demandes comment ces choses ont pu se passer, je te répondrai que tout cela vient de l’amour extraordinaire des Français pour la gloire !
Bonaparte avait renversé la République, sans laquelle il ne serait jamais devenu qu’un simple capitaine d’artillerie ; il avait rétabli la noblesse, le clergé, les majorats ; il avait déporté sans jugement les meilleurs patriotes ; enfin il détruisait la Révolution par morceaux !
 »

« Et songeant que l’ennemi nous suivait : songeant que, pour donner des trônes aux Bonapartes, nous avions dépensé tout le sang de la France, et qu’il n’en restait plus maintenant pour la défendre ! songeant que toutes nos victoires allaient aboutir à l’invasion de la patrie, j’enviai le sort des camarades tombés devant Leipzig. »

« Je ne te raconterai pas le reste ; quand j’y pense, mon cœur se déchire : - Il fallut reculer che nous –sur notre terre- devant un ennemi dix fois supérieur en nombre ; il fallut quitter, sans même les défendre ces belles provinces du Rhin que la République avait conquises, et qui seraient aujourd’hui aussi française que l’Alsace, si l’Empire ne les avait pas perdues. »

 

Le Blocus de Erckmann-Chatrian

Editions Hachette, 1935, lu en format Bibliothèque Verte 1948

Imprimerie Brodard & Taupin, Paris-Coulommiers - 1948

Illustrations de J. Touchet

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Il fut aussi tiré des assiettes avec les textes du livre, elles sont visibles au Musée à Phalsbourg :

 

Titre

Le BLOCUS de PHALSBOURG d'après ERCKMANN-CHATRIAN - assiette n°9 (titre factice)

Auteur : manufacture de Sarreguemines (fabricant)

Millésime de création 1922

Matériaux – techniques : faïence fine feldspathique (impression polychrome, glaçure transparente incolore)

Mesures : E. 1 cm ; D. 20 cm

Source Joconde : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/M0531029712

 

L’illustrateur, Jacques Touchet a également illustré le livre de Germaine Acremant, Ces Dames aux chapeaux verts (Éditions du Nord 1943)

 

Où l’on en parle aussi : http://consus-france.over-blog.fr/article-28587299.html

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