la sieste... version Delerm

Publié le par phot'saône

 

Des petites nouvelles en rapport plus ou moins lointain avec la sieste. A lire pour se détendre, à avoir dans le sac de voyage pour une lecture lors d’un rapide trajet, pour une pause sur un banc, dans l’attente en ses salles tristes remplies de magazines idiots…

 

P11 Rencontre à l’étranger, rencontre avec nos voisins lors d’un séjour à l’étranger !

« On ne sait rien d’eux. On ne connaît même pas leur nom. D’habitude, on se contente de les saluer d’un mouvement de tête, chez la boulangère ou dans le bureau de tabac. Dis ans quand même qu’on les croise ainsi, sans la moindre curiosité. Ce n’est même pas de l’indifférence. Plutôt une sorte de contiguïté familière, pas désagréable, mais qui ne mène nulle part.

Et puis voilà qu’ils sont là, en plein cœur de Hyde Park, quelle idée !...

« Huit jours plus tard, à la Maison de la Presse, on fera semblant de ne pas se voir. »

 

P21 à l’envers des paupières.

Ah, celle-ci je l’adore car c’est la première fois que je lisais, si bien décrit, l’effet de la lumière à travers les paupières. Ces magnifiques effets si éphémères que l’on ne peut ni décrire ni photographier. Il faudrait les dessiner, les peindre mais on a rien sous la main, et ouvrir les yeux gâchent tout, et… on ne sait pas dessiner..

Mais Philippe Delerm, lui, sait les décrire, et moi, je vais retaper les quelques lignes ici :

« Des protozoaires, des amibes, comme celles qu’on regardait au microscope, au cours de biologie. On se demandait toujours si c’était bien ça qu’il fallait voir, sur la petite lamelle, mais oui, ce n’était que ça, ces transparences blafardes entre les cils. On est allongé sur la plage au grand soleil. On a fermé les yeux. Les amibes passent, sur l’écran des paupières. Elles dérivent doucement de gauche à droite, puis disparaissent en haut de l’œil. Alors une autre leur succède. Bien sûr, si on fermait les yeux très fort, on ne les verrait plus. Mais c’est ainsi que l’on est bien, les yeux juste voilés, le dos lové contre le sable chaud. Présent. Absent. On entend tout : le roulement de la mer, les cris des enfants  par-dessus, la cacophonie des mouettes. …..

Les amibes s’agglutinent, se rangent au long d’une structure changeante, en courbe ou en zigzag. Petites perles d’eau évanescentes, dessinant l’envers du ciel et de l’été. On dirait un insecte maintenant, une silhouette de mante religieuse qui se disloque avant de prendre corps, et voilà la Grande Ourse, et puis des grains de tapioca, diaphanes et grumeleux.

A l’envers des paupières, on est lové dans la chaleur, les bruits légers, l’idée de rien qui flotte. C’est comme au microscope d’autrefois un monde entre deux cils qui bouge à l’infini, immense, infime, et dans l’écran inverse s’abolit. Bientôt on ouvrira les yeux. La mer sera si brutalement verte. Mais on n’est pas pressé d’abandonner le gris. »

 

Page45 La maison du gardien me suffirait.

Qui n’a pas rêvé devant un beau château, devant un grand manoir, ou une maison de maître…

« Un domaine magnifique : longue allée de platanes menant au château dix-huitième noyé dans le vignoble bordelais, longue allée de sapins conduisant à une gentilhommière solognote, à un manoir normand. Envie soudain de marcher seul, maître des lieux, les mains nouées dans le dos, un peu penché en avant, en s’inventant le poids d’un vrai destin, d’un vrai passé, d’une mélancolie pour justifier l’accablante propriété de cette perfection de pierres et de feuillages. Juste quelques secondes. Et puis on dit :

- Moi, la maison du gardien me suffirait !

….

Les propriétaires n’ont que des soucis. Et puis ils ne viennent pas souvent. Paris les tient. Le poids des héritages, le début du déclin doivent bien limiter leur pouvoir de jouissance.

….

Aristocrate par l’esprit, on aurait soudain toutes les qualités qu’on affirme si peu dans la vie ordinaire. La modestie en plus. »

 

Le +++

http://mes-petits-carnets.over-blog.com/article-le-dimanche-soir-90233428.html

 

 

 

La sieste assassinée de Philippe Delerm

Éditions Folio – avril 2005 (© Gallimard 2001)

Voilà, c'était mon premier Delerm.... "Il avait plus tout le dimanche"

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