Matin perdu de Vergilio Ferreira

Publié le par côté lecture

Matin perdu - Vergilio Ferreira - Soutine

Matin perdu - Vergilio Ferreira - Soutine

Décidément, après la pension des Nonnes, les livres sur les congrégations langroises, me revoici plongée, par les hasards des livres abandonnés, dans un séminaire portugais.

Rien à voir avec La pension des Nonnes, si ce n’est que nous restons dans le sud de l’Europe, et avec une histoire d’enfance solitaire et difficile.

Ici, c’est Antonio, un jeune garçon portugais, qu’une dame du village a pris sous sa coupe, sorti de sa famille pauvre pour l’envoyer au séminaire.

Il doit avoir dans les 11 ou 12 ans quand il doit tout quitter, sa famille, cette dame rêche et fanatique, son village et sa liberté. Après un voyage en bus puis train habillé de noir, moqué, traité de corbeau, raillé avec son costume de séminariste, il est propulsé dans le monde âpre de l’enfance mise en internat et soumise au Règlement.

Les enfants ne sont pas tendres entre eux, même s’ils sont tous, de même, victimes de cet enfermement. Les grands n’épargnent rien aux plus jeunes.

Mais il doit subir ces années au séminaire. Sa mère l’a confiée à cette dame riche. Son avenir de curé doit sortir sa mère et ses sœurs de la misère, de la faim… Au fil des mois et des retours au village, il est admis à la table de sa tutrice où il subit de nouvelles brimades.

Mais a-t-il vraiment le choix ? On a décidé de son destin, sacrifié sa jeunesse, perdu… ses matins.

 

S’ensuit le long et poignant témoignage du narrateur. Les mots coulent comme une poésie dans un langage imagé, cultivé, agréable.

Le doit-on à l’auteur, portugais, ou au traducteur ?

En tout cas c’est une réussite littéraire, qui, d’ailleurs, a été récompensée par un Prix Femina étranger en 1990.

L’image de couverture est de Soutine : l’écolier en bleu (1941-1942).

Je n’ai pas de date précise pour ce récit. L’action doit se passer aux environ de 1933 si j’en crois le résumé au dos « Vergilio Ferreira, qui fut séminariste et cessa de l’être, écrivit Matin perdu en 1953, après l’avoir porté en lui plus de deux décennies. »

 

On reste suspendu à la plume à l’encre dégoulinante de solitude, de tristesse, de colère, de révolte.

Le roman est dense. On regrettera peut être le manque de datation par rapport à la politique portugaise et à l’Histoire, trop méconnue, du pays.

François-Xavier Prinet - le réfectoire de Morey

François-Xavier Prinet - le réfectoire de Morey

Page 28, le premier repas, au réfectoire :

« Un peu inquiet, j’offris mon regard solidaire à qui l’accepterait. Mais personne ne l’accepta. Appliqués, coupant avec leur couteau leur pain sur la table, les plus âgés ne faisaient que manger. »

« Parce que la première distinction que je faisais (et j’ai constaté ensuite que les préfets la faisaient aussi), c’était précisément la différence entre les élèves beaux et les élèves laids.

Peut-être parce que la majorité d’entre nous appartenait à la glèbe. Gauches, taillés à coups de hache, recuits au soleil pendant des générations, nous portions notre condamnation sur nos visages sombres. Il y en avait de petits, sentant la terre, les poignets gros comme des essieux de charrue. Il y en avait de grands, osseux, à la large poitrine enfoncée. Certains avaient leur énorme crâne entièrement rasé. D’autres, le cheveu rare et dur, formant un duvet sur leur cou, manifestaient leur stupéfaction profonde et lente de bêtes. Malheureux et innocents, au regard timide et cruel, au morne regard de bœuf, que je regardais comme des frères du fond de ma souffrance.

- que regardez-vous ? et la claque inévitable sur la nuque. »

 

Page 63 Le séminaire qui permet de sortir de la misère, d’étudier, de gravir l’échelon social, était-il une prison ? À chaque vacances, l’enfant souhaite ne plus revenir, il n’a pas la vocation, il veut retrouver sa liberté, ne plus vivre dans ce casernement, au milieu des autres garçons, des hommes qui les éduquent.

« Parce que je voulais justement proclamer que le Séminaire était une prison, qu’un ministre était peut-être supérieur au président, et dénoncer à grands cris la trahison faite à mon enfance. Et je n’avais rien dit. Pris d’une peur soudaine, je compris à nouveau que notre malheur commun était invincible comme l’hérédité.

Nous avons flâné dans les rues jusqu’à l’heure du départ de l’autocar. Je me souviens d’avoir regardé avec sympathie les maisons sombres de la ville, rongées de vieillesse, penchées sur la rue, en un mutuel dialogue, hors du temps. Le vent gelé de décembre nous guettait au coin des rues, montrant ses dents aiguisées. Une grande main millénaire, ridée et noire, planait dans le ciel, depuis longtemps, comme les ailes d’un énorme vautour… Je contemplais le profond silence de tout cela, je ressentais dans l’obscurité qui traversait tout cela, dans le vague halo expectant, une brusque peur de la mort – et l’inquiétude arrêtait mon cœur. »

l'écolier et le ver à soie - Richer

l'écolier et le ver à soie - Richer

Roman traduit du portugais par Parcidio Gonçalves.

Titre original : Manhã submersa (1953)

Paru aux Éditions de la différence.

2ème édition - Editions E.L.A. La Différence – Paris – 1990, pour la traduction en langue française

Imprimé en novembre 1990 sur les presses de l’imprimerie Szikra 90200 Giromagny.

 

Vergílio António Ferreira, né le 28 janvier 1916 à Melo et mort le 1er mars 1996 à Lisbonne, est un écrivain portugais.

Ce livre a été adapté au cinéma, j’espère que l’ambiance a été respectée. 

 https://www.youtube.com/watch?v=IsXechza5FM

https://www.youtube.com/watch?v=ffwm_pUNXNU

https://www.youtube.com/watch?v=E0j1-5qxxEs

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et voilà, j'ai laissé ce livre suivre son chemin... dans une boite à livres....

 

Matin perdu de Vergilio Ferreira
Matin perdu de Vergilio Ferreira
Matin perdu de Vergilio Ferreira
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